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ERCKMANN-CHATRIAN









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Noëlle BENHAMOU




 



 





Articles de dictionnaires






Cette page propose des articles de dictionnaires qui analysent la vie et l'oeuvre d'Erckmann-Chatrian.

  • Pierre LAROUSSE, Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, Paris, Lettre E, vol. 7, 1866-1877, p.790-791.



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  • Pierre LAROUSSE, Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, Paris, Lettre E, vol. 7, 1866-1877, p.790-791.

          ERCKMANN-CHATRIAN, romanciers français, qu'une constante collaboration a confondus en une seule personnalité, nés tous deux dans le département de la Meurthe : M. Émile Erckmann, à Phalsbourg, le 20 mai 1822, et M. Alexandre Chatrian, à Soldatenthal, hameau forestier de la commune d'Abreschviller, le 18 décembre 1826. Le père du premier était libraire ; celui du second descendait d'une de ces familles italiennes attirées en France par Colbert pour y fonder l'industrie de la verrerie. Privé de sa mère, Erckmann, enfant sombre et sauvage, fut placé comme interne au collège communal de sa ville natale. Ses études terminées, il vint à Paris en 1842, dans le dessein ou plutôt sous le prétexte d'y faire son droit ; il ne lui fallut pas moins de cinq ans pour franchir les deux premiers examens ; il ne passa le troisième qu'en 1857 ; c'était assez, il en resta là. On le voit, ce n'était pas l'École de droit qui avait ses préférences ; en revanche, il s'oubliait volontiers au Collège de France et à la Sorbonne. Dès 1843, il avait publié une brochure sur le Recrutement militaire. Ramené, en 1847, à Phalsbourg, par une maladie grave, il s'était essayé pendant les loisirs de sa convalescence sur divers sujets littéraires. Le hasard, sous la figure d'un professeur de rhétorique dont il avait été l'élève, M. Perrot, le mit à cette époque en relation avec M. Chatrian, alors maître d'étude au collège de Phalsbourg. M. Chatrian avait été destiné par sa famille à l'industrie de la verrerie, dans laquelle ses ancêtres s'étaient acquis du renom et qu'exerçait son père. Déjà il touchait à une belle position dans les verreries de Belgique, où il était allé en 1844, lorsque, tourmenté par le goût des lettres, il entra, contre le gré de ses parents, en qualité de maître d'étude au collège de Phalsbourg ; c'était là qu'il avait fait quelques classes après avoir reçu les premiers éléments d'un vicaire de campagne, à qui son père l'avait confié dans sa première enfance. L'amitié et la collaboration de MM. Erckmann-Chatrian date de leur rencontre. Désormais leurs deux noms n'en formeront plus qu'un ; deux plumes jumelles, couple mystérieux, mettront sous la même raison sociale le travail encore obscur, l'effort inaperçu d'où surgira ce romancier double, cette intelligence géminée dont s'honore aujourd'hui notre littérature. À partir de ce moment, la biographie de M. Erckmann est aussi celle de M. Chatrian. La science pourrait peut-être opérer la section des frères siamois ; mais la critique ne pourrait diviser ces deux esprits qui, en faisant conjonction, ont produit des oeuvres d'une unité si parfaite.
          L'étudiant était revenu à Paris au moment de la révolution de Février pour y continuer son droit ; le jeune maître d'études n'avait pas tardé à l'y rejoindre. Pour vivre, il demanda et obtint un emploi dans les bureaux du chemin de fer de l'Est. Les débuts des deux amis furent obscurs et pénibles. Le Démocrate du Rhin donna l'hospitalité, dès 1848, à leurs premiers essais. Ils travaillaient en même temps à un drame : le Chasseur des ruines, reçu à correction par l'Ambigu, et qui ne fut pas joué, par suite du refus des auteurs de faire les changements demandés. Le théâtre de Strasbourg, en revanche, monta l'Alsace en 1814, supprimé par le préfet à la seconde représentation. Ils avaient acquis déjà cette unité de style et de conception qui fit que, pendant longtemps, on ignora la double origine de leurs productions. S'attachant à peindre les goûts, les habitudes et les mours de leurs compatriotes d'Alsace, ils écrivirent des romans et des nouvelles qui, pour la plupart, ont été depuis très goûtés en volumes : Schinderhannes, les Brigands des Vosges, le Requiem du corbeau, l'Auberge des trois pendus, le Chant de la tonne, etc. Ces ouvrages, enfouis longtemps dans les cartons des journaux, eurent beaucoup de peine à voir le jour ; l'Artiste, puis la Revue de Paris en insérèrent enfin quelques-uns. Écrits dans la manière sombre et terrible, ils renouvelaient le genre fantastique, le genre hoffmannesque. L'Illustre docteur Mathéus (1859, in-18) fut le premier succès de MM. Erckmann-Chatrian. Quelques contes qui terminent le volume, l'Oil invisible, le Bourgmestre en bouteille, la Tresse noire, etc., sont une véritable importation d'outre-Rhin. Dans les Contes fantastiques (1860, in-18 ; 1868, 2e édit.), composés de quatorze récits, le rêve et le cauchemar d'Hoffmann atteignent toutes les hardiesses, toutes les folies, toutes les terreurs. Grande est la dépense de talent dans ce livre, mais la raison humaine n'en fera pas son bréviaire. Les Contes de la montagne (in-18), publiés la même année, se rattachent par quelques points au même genre, se complaisant dans ces inventions où l'élément surnaturel n'ôte rien d'ailleurs à la variété des scènes et des cadres. Voyant de plus en plus le succès venir les encourager dans cette voie, MM. Erckmann-Chatrian continuèrent de refléter les mours de leur pays dans de petites photographies patientes, minutieuses, où la raillerie n'est pas précisément aussi légère que celle de nos conteurs français, et où la naïveté est parfois un peu lourde.
          Nous avons étudié à part chacune des productions principales de MM. Erckmann-Chatrian ; nous ne ferons ici que les mentionner, renvoyant le lecteur aux titres des ouvrages mêmes. Les Contes des bords du Rhin (in-18), les Contes populaires (1866, in-18), ont réuni depuis ceux de ces récits qui, comme Maitre Daniel Rock (1863, in-18 ; 1869, 2e édit.), L'Ami Fritz (1864, in-18 ; 1868, 3e édit.). La Maison forestière (1866, in-18), n'avaient pas l'étendue suffisante pour composer des volumes séparés. Nous rappellerons les Confidences d'un joueur de clarinette, la Taverne du jambon de Mayence, le Rêve d'Aloïus, et enfin le Juif polonais, écrit dans la forme dialoguée, et que le théâtre de Cluny a transporté sur sa scène, en juin 1869, avec beaucoup de succès. Le Fou Yegof, épisode de l'invasion (1862, in-18), bientôt suivi de Madame Thérèse ou les Volontaires de 92 (1864, in-18 ; 1869, 14e édit.), de l'Histoire d'un conscrit de 1813 (1804, in-18 ; 1869, 25e édit.), de Waterloo (1865, in-18), montrèrent que le talent de MM. Erckmann Chatrian était susceptible de prendre un essor plus puissant. Ces quatre romans, réimprimés sous le titre générique de Romans nationaux, devaient avoir, grâce au souffle de républicanisme et de liberté qui les anime, un franc et large succès. Ils devinrent en peu de temps populaires à ce point que les éditions, tant sous le format in-18 que sous le format grand in-8° illustré, se succédèrent avec une rapidité véritablement extraordinaire. Les auteurs avaient trouvé dans les épisodes de notre histoire nationale moderne un élément d'intérêt dramatique bien autrement saisissant que toutes les combinaisons de l'imagination.
          Après Waterloo signalons l'Invasion, la première en date parmi les oeuvres qui composent la série des Romans nationaux. L'Invasion retrace la lutte des montagnards vosgiens contre les alliés. 450.000 Allemands, Suédois et Russes ont franchi le Rhin. Les débris de notre armée, décimés par le typhus et réduits à des cadres, battent en retraite sur toute la ligne. Ils se retirent en Lorraine, abandonnant les défilés des Vosges qu'il était pourtant si facile de défendre. L'ennemi est au pied des montagnes. Va-t-il donc franchir, sans brûler une cartouche, ces Thermopyles françaises ? Non ! à la voix du sabotier Hullin, un ancien volontaire de 1792, tous se lèvent : schlitteurs, flotteurs, bûcherons, ségars, contrebandiers. Une mêlée furieuse s'engage dans les gorges bleuâtres où grouille l'Autrichien. Pendant quatre jours, cette poignée d'hommes arrête les 60.000 soldats de Schwartzemberg. Mais l'héroïsme succombe par la trahison, et les Croates envahissent la Lorraine.
          Waterloo, qui se relie au Conscrit, pourrait avoir pour épigraphe ce cri de l'auteur des Iambes : « Sois maudit, ô Napoléon ! »
          Les nations sont oublieuses des impressions qui ont accueilli les faits de leur histoire à mesure que ces faits s'accomplissent. Les traces des larmes répandues et du sang versé, du meurtre et du pillage, des grandes secousses et des profondes douleurs disparaissent peu à peu ; qui songe à la famille détruite dans ses fondements, à la jeunesse brisée dans sa fleur, à l'immoralité du succès pénétrant le cour des masses et l'entraînant aux extrêmes limites de l'insensibilité et de la barbarie ? Arrivent les chantres épiques qui égrènent toutes ces horreurs en perles de gloire et abusent les générations nouvelles ; toutes ces vies humaines fauchées en quelques heures ne leur arrachent pas une larme de pitié ; ils n'en ont que pour les moindres accidents de l'idole, comme ils n'ont d'admiration que pour ses insatiables désirs d'envahissement, de domination et de tuerie. Ils planent, disent-ils, au-dessus de ce qu'ils appellent notre terre à terre, pour juger des choses en grand. Des hauteurs chimériques où ces lumineux esprits s'envolent en habits de sénateurs ou de favoris du palais, ils distribuent à César et à ses complices les palmes de l'immortalité. Celui qui a fait que, pour son ambition personnelle, des milliers d'hommes se sont rués sur des milliers d'hommes qui a laissé en fin de compte, l'héritage glorieux de la Révolution française notre France si belle, si glorieuse, si respectée, en proie aux outrages de l'étranger et aux violences des ennemis de sa liberté, est livré par eux à l'éternelle contemplation des peuples. Ce n'est pas seulement un héros, c'est un dieu. MM. Erckmann-Chatrian, comme tous les cours droits et sincères, se sont révoltés juste à l'heure où la vérité se fait sur nos malheurs, où le peuple, ivre trop longtemps de toute cette vapeur de sang qui monte du premier Empire, reprend possession de lui-même ; à cette heure où, dans sa raison souveraine, chacun de nous met un doigt justicier sur les maculatures de cette « gloire de sauvage », ils ont écrit ces livres qui seront leur honneur éternel ; ils ont pris d'en bas les grands événements - comme il faut les prendre - et ils ont accompli une oeuvre de justice et de vérité, dont l'utilité est incontestable. Utilité est le mot, car ces événements excitèrent chez les contemporains des sentiments qui trop vite, grâce au gouvernement honni de la Restauration, ont fait place dans les masses à des sentiments contraires. Les deux collaborateurs auront eu le mérite très grand d'avoir fait contre la guerre les plus éloquents plaidoyers qui se soient encore vus, et d'avoir popularisé pour cet art de bestiale destruction, auquel on a attaché l'idée de la gloire, une horreur qui portera ses fruits. Nous en avons pour garant l'immense succès des Romans nationaux.
          Une fois dans cette voie civilisatrice, MM. Erckmann Chatrian n'ont pas voulu s'arrêter ; ils ont successivement ajouté à ces pages, d'une portée si précieuse au point de vue de la raison humaine, l'Histoire d'un homme du peuple (1865, in-18) ; la Guerre (1866, in-18) ; le Blocus, épisode de la fin de l'Empire (1867, in-18 ; 10e édit. dans la même année) ; Histoire d'un paysan, 1789, l'An 1er de la République française (1808, in-18 ; 1869, 10e édit.) ; Histoire d'un paysan, 2e partie ; la Patrie en danger, 1792 (1869, 2 vol. in-18).
          L'Histoire d'un homme du peuple se rattache seule à l'époque actuelle. Le héros, orphelin élevé à Saverne par la charité, va à école, entre en apprentissage chez un menuisier, et vient comme ouvrier à Paris, où il est mêlé à la vie des classes laborieuses. Il prend part à la révolution de 1848 et la raconte ; mais on sent que les auteurs sont moins sur leur terrain à Paris qu'en Alsace. Les scènes publiées sous ce titre : la Guerre, s'attaquent à ce massacre convenu par la diplomatie et réhabilité par les Te Deum, à ce duel officiel des armées que nous verrons se renouveler tant que des rois pourront se jouer entre eux de la vie des peuples. Il n'y a pas d'autre lien entre les divers épisodes dont se compose l'ouvrage que cette grande idée mère. Dans leur ensemble, c'est encore une courageuse protestation contre l'effusion du sang, contre les désastres inséparables des grands antagonismes armés. Dans le Blocus, il s'agit du blocus de Phalsbourg en 1814. Quant à l'Histoire d'un paysan, c'est un vieux paysan qui la raconte, simplement, naïvement ; dans son langage rustique il nous montre l'état du peuple avant 89 et le réveil de la nation jusqu'aux états généraux. Savez-vous pourquoi cet homme, presque centenaire, entreprend ce récit ? Écoutez-le : « Et dire que des fils du peuple, des Gros-Jacques, des Gros-Jean, des Guillot écrivent dans leurs gazettes que la Révolution a tout perdu ; que nous étions bien plus heureux, bien plus honnêtes avant 1789 ! Canailles ! Chaque fois qu'une de ces gazettes me tombe sous la main, j'en tremble de colère. Michel a beau me dire : « Mais, grand-père, pourquoi donc te fâcher ? Ces gens-là sont payés pour tromper le peuple, pour le ramener dans la bêtise ; c'est leur état, c'est le gagne-pain de ces pauvres diables !... » Je réponds : « Non ! nous en avons fusillé par douzaines de 1792 à 1799 qui valaient mille fois mieux que ceux-ci ; c'étaient des nobles, des soldats de Condé ; ils défendaient leur cause ! Mais trahir père, mère, enfants, patrie, pour se remplir la panse, c'est trop fort !... » J'ai donc résolu d'écrire cette histoire, - l'Histoire d'un paysan -, pour détruire ce venin et montrer aux gens ce que nous avons souffert. » Après avoir expliqué la formation de la commune ; comment, attirés par les promesses d'un prince et sur la foi de sa parole, bourgeois et paysans sont venus s'établir sur le territoire, avec une foule de privilèges, de droits et d'exemptions, après quoi ils furent vendus comme un troupeau à la maison de Lorraine, qui les gratifia de toutes les servitudes seigneuriales, le vieux paysan raconte sa propre histoire. On voit naître la Révolution, et l'on comprend par suite de quels revirements un pauvre serf d'avant 1789 peut dire aujourd'hui : « J'ai mon petit-fils Jacques à l'École polytechnique ; j'ai ma petite-fille Christine mariée avec l'inspecteur des forêts Martin, un homme rempli de bon sens ; mon autre petite-fille Juliette est mariée avec le commandant du génie Forbin, et le dernier, Michel, celui que j'aime pour ainsi dire le plus, parce qu'il est le dernier, veut être médecin. Il s'est déjà fait recevoir bachelier l'année dernière à Nancy ; pourvu qu'il travaille, tout ira bien. Tout cela, je le dois à la Révolution. Avant 1789, je n'aurais rien eu ; j'aurais travaillé toute ma vie pour le seigneur et le couvent. »
          Tels sont les livres de la seconde manière de MM. Erckmann-Chatrian. Le peuple les a adoptés parce qu'il y sent véritablement palpiter son âme, à lui, et qu'il comprend que l'avenir de la patrie et de l'humanité est renfermé dans les préceptes qui en font la base. Cependant on a plus d'une fois, à propos de ces mêmes livres, mis en cause la sincérité historique des auteurs et la moralité de leur oeuvre. Le journal le Siècle, entre autres, leur reprochait, dans un article du 25 juillet 1866, signé de M. Louis Jourdan, d'attaquer systématiquement la guerre. La réponse de MM. Erckmann-Chatrian étant une réponse victorieuse à toutes les critiques de ce genre que persistent à leur faire certains journaux, nous en extrayons ce qui suit :
          « S'il entend parler de guerres inspirées par l'ambition d'un homme, dérivatifs habituels du despotisme, pour faire avorter le développement des libertés politiques, M. Jourdan a raison : ces guerres nous font horreur ; l'Histoire du conscrit de 1813 témoigne assez de nos sentiments à cet égard. Mais s'il entend parler de guerres ayant pour but la revendication de nos droits, la conquête de nos libertés nationales, la défense du sol sacré de la patrie, M. Jourdan a tort : les romans de l'Invasion et de Madame Thérèse le prouvent. Nous sommes toujours restés fidèles au sentiment démocratique moderne, qui rejette la guerre comme moyen de progrès, et qui ne la reconnaît nécessaire que dans le cas de légitime défense. » Nous passons sur divers autres reproches qui, selon nous, tombent d'eux-mêmes, pour citer cette phrase caractéristique de la même lettre : « ... M. Jourdan nous dit qu'il ne suffit pas d'attaquer la guerre, et qu'il faut encore indiquer le remède au mal. Nous lui répondrons que ce remède est la liberté. Non seulement nous l'avons indiqué, mais nous l'avons défendu avec énergie dans tous nos livres. » Cela est si vrai que la commission de colportage proscrivit les Romans nationaux et refusa l'estampille à l'Homme du peuple, parce qu'il n'est question dans ce livre que de liberté. »
          Nous croyons en avoir assez dit pour bien faire apprécier la nature exceptionnelle du talent de ces deux écrivains consciencieux, qu'on pourrait appeler les frères siamois de la littérature contemporaine. Quant à leurs personnes, il est plus difficile d'en parler. Nés Phalsbourgeois, ils sont restés Phalsbourgeois et ne se sont mêlés en rien au monde des gens de lettres. S'il faut en croire la chronique, ils se sont fait, au cour même de Paris, une sorte de petit Phalsbourg, où se perpétuent les traditions du pays natal. Sur les hauteurs du faubourg Saint-Denis, il est un petit estaminet d'où s'échappent, quand par hasard s'ouvre la porte, d'acres parfums de bière, de tabac et de choucroute. Tous les soirs, régulièrement, à l'heure où les théâtres et les boulevards s'emplissent, deux personnages aux allures typiques s'y retrouvent. L'un, assure-t-on, resté fidèle aux modes patriarcales, porte la culotte en peluche, les gros souliers, le gilet de couleur, l'habit carré à boutons de métal et le large feutre à l'alsacienne. L'autre, poussant moins loin l'amour du costume de ses pères, fait des concessions à la moderne redingote. C'est là, paraît-il, qu'entre deux choppes, deux pipes et deux parties de dominos, les deux collaborateurs échafaudent ces oeuvres originales qui, à l'heure où nous écrivons, jouissent d'une vogue si grande et, disons-le, si méritée.
          Quelques ouvrages parus dans ces derniers temps et signés d'un homonyme de M. Erckmann ont fait supposer un instant que la collaboration de MM. Erckmann Chatrian s'était disloquée. Cette erreur pouvait être d'autant plus regrettable qu'entre les livres signés Jules Erckmann et ceux que M. Émile Erckmann a écrits avec M. Chatrian il n'y a d'autre analogie que le nom de l'auteur. On y trouve une grande admiration pour Napoléon, tandis que les compositions de MM. Erckmann-Chatrian respirent à chaque page un sentiment tout contraire, et, sans contester leur très réelle valeur, disons que c'est à ce sentiment que ces derniers doivent une part de leur immense succès.



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